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» Pollen’n «
Je me suis réveillé avec un furieux mal de tête et une drôle d’odeur dans le nez. C’était sans doute dû au venin que ces sales bestioles m’ont injecté, mais j’ai eu toutes les peines du monde à ouvrir les yeux et à distinguer ce qui m’entourait. Tout était flou. Une chose était sûre, en revanche, je n’étais plus dans le jardin, allongé sur le sol, mais dans un endroit clos qui sentait la cire. Mes oreilles aussi ne fonctionnaient pas correctement. J’avais l’impression d’avoir un essaim dans la tête. Ça bourdonnait dans tous les sens. Des milliers d’abeilles me tournaient autour : j’en étais persuadé.
Quelques minutes m’ont été nécessaires pour reprendre possession de mes sens. Quand mes yeux ont enfin répondu à l’appel, j’ai failli les refermer aussitôt. Effectivement, je n’étais plus dehors.
On m’avait enfermé dans une cage étrange tapissée d’une matière dorée. Tout d’abord, j’ai pensé que le vieux Joseph poussait un peu loin le souci du détail. À première vue, et pour l’avoir étudié avec Madame Pinsard, je me trouvais dans une sorte d’alvéole comme celles que construisent les abeilles pour pondre et entreposer le miel. L’apiculteur était un sacré bon bricoleur : c’était plus vrai que nature. Puis, je me suis redressé et, là, j’ai eu un choc. L’ouverture qui se trouvait à mes pieds n’était pas obstruée et ce que j’ai vu m’a hérissé tous les poils. Une abeille gigantesque me fixait de ses cinq yeux. J’avais sacrément dû me cogner la tête en tombant ou c’était une mauvaise blague de l’apiculteur. Quelle que soit l’explication, j’ai hurlé. On a beau faire son courageux devant les potes, devant une telle chose il n’y a pas d’autre option possible.
— Un peu moins de bruit, Bastien. Inutile d’ameuter toute la ruche !
Je ne rêvais pas : l’abeille venait de me parler. Je devais avoir l’air stupide la bouche ouverte et les yeux si écarquillés qu’ils devaient ressembler aux siens.
— C’est impossible, ai-je bafouillé.
— Rien n’est impossible dans le rucher de Monsieur Joseph.
Elle avait une voix toute fluette et aiguë, mais elle n’avait pas l’air dangereuse. Heureusement, car avec la taille qu’elle faisait – ou plutôt que je faisais– je ne pouvais pas survivre à une autre attaque.
— Qu’est-ce que je fais ici ? Et surtout comment j’ai atterri ici ?
— Nous avons estimé que tu étais un bon candidat.
— Un bon candidat à quoi ? me suis-je inquiété, pas vraiment emballé à l’idée de servir de souris de laboratoire à des abeilles.
— Chaque chose en son temps. Pour le moment, sors de là : c’est l’heure de la visite.
D’une de ses pattes poilues, elle m’a fait signe de m’avancer sur le bord de l’alvéole.
J’ai hésité très longtemps, au point qu’elle s’est impatientée :
— Allons, dépêche-toi si tu veux être revenu à temps quand le bus repartira !
Je me suis traîné sur les fesses pour m’approcher.
— Les abeilles ne sont pas carnivores : tu ne risques rien.
J’ai froncé les sourcils.
— J’ai quelques piqûres mal placées qui me prouvent le contraire ! ai-je répliqué.
L’abeille s’est mise rire… Une abeille qui rit… Ça ressemble à un début de proverbe que mon grand-père utilisait pour faire enrager ma grand-mère. Le mien serait sans doute « Abeille qui rit, Bastien qui frémi. »
— Grimpe sur mon dos ! m’ordonna-t-elle alors que j’étais parvenu à ramper jusqu’au bord.
— Ma maman m’a toujours dit de ne pas monter sur les abeilles que je ne connaissais pas…
J’avais beau plaisanter, je n’en menais pas large.
— Et elle a entièrement raison. Je suis ton guide pour le reste de la journée et je m’appelle Pollen’n.